06 novembre 2024

5 questions à un prof de la région

Le prof : Samuel Veillette

Depuis janvier 2022, Samuel Veillette partage son amour pour la science politique avec les étudiants du Centre d’études collégiales de Montmagny.

Cette amour vient de ses racines familiales. « En grandissant avec mes deux frères et un père abonné à un journal, j’ai été plongé dans un environnement propice à l’analyse de l’actualité », se remémore-t-il.

Cette passion s’est affirmée au cégep, où il a découvert son affection pour les dynamiques sociopolitiques. En classe, il s’efforce d’éveiller l’intérêt de ses étudiants pour les affaires publiques et de les encourager à s’engager activement. « Comprendre les enjeux est essentiel pour être un citoyen éclairé », souligne-t-il. À travers ses cours, il aspire à susciter des débats enrichissants et à former la prochaine génération.

Il a accepté de partager ses connaissances avec les lecteurs du Journal à propos d’un sujet complexe mais passionnant : les élections américaines.

1. Comment fonctionne le système électoral américain et quelles sont les régions à surveiller ?

Le système électoral américain diffère du suffrage universel direct que l’on retrouve dans d’autres démocraties. Aux États-Unis, le président est désigné par le biais d’un collège électoral, composé de 538 grands électeurs. Chaque État dispose d’un nombre d’entre eux proportionnel à sa population. Le candidat qui gagne la majorité des voix obtient l’ensemble des grands électeurs de celui-ci, un système appelé Winner takes all.

L’objectif pour les postulants est de remporter au moins 270 grands électeurs, le chiffre magique qui leur assure la victoire. Certains États, appelés swing states ou États clés, jouent un rôle déterminant en raison de leur basculement potentiel entre démocrates et républicains. En 2024, la Pennsylvanie (20 grands électeurs), la Géorgie et l’Arizona sont particulièrement surveillés.

Le fait que des gouverneurs démocrates ou républicains dirigent certains de ces États peut également influencer l’issue de le scrutin, comme c’est le cas pour la Pennsylvanie. En 2020, des surprises telle que la Géorgie, qui est passée aux mains des démocrates, montrent l’importance de ces batailles serrées.

2. Qui sont les acteurs clés dans cette campagne ?

Dans la course présidentielle américaine, les colistiers des principaux candidats jouent un rôle central, révélant les priorités et la stratégie de chaque camp. Du côté républicain, Donald Trump a choisi J.D. Vance, sénateur de l’Ohio. Celui-ci, auteur et figure controversée, incarne un conservatisme renouvelé et s’oppose fermement à l’immigration et à l’avortement.

Chez les démocrates, Kamala Harris a opté pour Tim Walz, gouverneur progressiste du Minnesota. Ancien enseignant, Walz est reconnu pour ses politiques communautaires interventionnistes, notamment dans le domaine de l’alimentation scolaire. Son choix reflète une volonté d’ancrer la campagne démocrate dans des valeurs de modernité, de jeunesse et de justice sociale.

Les financements jouent également un rôle crucial. Les démocrates bénéficient d’appuis majeurs, tels que l’ancien maire de New York, Michael Bloomberg, et des entreprises de la Silicon Valley. Du côté républicain, malgré des ressources moindres, Trump a reçu la contribution inattendu d’Elon Musk. La communauté artistique américaine promeut en grande partie les démocrates, en particulier les jeunes artistes comme Billie Eilish, Taylor Swift et Ariana Grande, qui ont tous exprimé publiquement leur position. Bien que l’impact de leur influence soit débattu, leur soutien participe à renforcer l’image moderne et progressiste du Parti démocrate.

3. Quels sont les enjeux fondamentaux de cette élection ?

Dans cette élection américaine, les enjeux de fond diffèrent grandement entre les partis. Du côté républicain, Donald Trump met l’accent sur l’économie, la lutte contre l’immigration illégale et la réduction de l’inflation, attribuant ces problèmes aux politiques “socialistes” des démocrates. Il promet une vaste campagne de déportation s’il est élu. Les républicains cherchent aussi à mobiliser l’électorat des régions industrielles en déclin, en ciblant la population immigrante comme l’une des principales causes de leurs difficultés financières.

Du côté démocrate, la protection du droit à l’avortement est un enjeu majeur, avec la volonté de rétablir ce droit au niveau national après son renversement par la Cour suprême. Les démocrates se positionnent également comme les défenseurs des institutions, du multilatéralisme, et prônent une Amérique plus ouverte et tolérante. Ils opposent cette vision à celle d’une Amérique plus fermée et divisée, représentée selon eux par Trump et ses partisans.

Le défi crucial de ce scrutin réside dans la mobilisation des électeurs. Les démocrates doivent s’assurer que les jeunes, les minorités culturelles, les personnes défavorisées et les femmes, qui tendent à soutenir leur formation, se rendent aux urnes. Un autre facteur clé est l’influence du vote féminin, en particulier grâce à la présence de Kamala Harris, qui semble avoir un léger avantage parmi cet électorat. En fin de compte, l’efficacité des machines respectives jouera un rôle déterminant, surtout dans les États clés.

4. Quelles pourraient être les conséquences au Canada des résultats de cette élection ?

Si Donald Trump revenait au pouvoir, les rapports entre le Canada et les États-Unis subiraient des secousses majeures, notamment sur le plan financier. Celui-ci a déjà exprimé son intention d’imposer de nouveaux tarifs douaniers, touchant aussi bien la Chine que le Canada. Le protectionnisme américain qui en découlerait, avec des taxes potentiellement augmentées de 10 % sur les produits canadiens, porterait un coup dur à l’économie du pays.

En matière de relations diplomatiques, l’actuelle collaboration étroite pourrait se détériorer sous un second mandat Trump, entraînant une lien plus impondérable. Cette impondérabilité, notamment dans les domaines de la défense et de l’économie, inquiète les diplomates canadiens. La population immigrante est un autre enjeu central. Avec la politique stricte de déportation de Trump, le Canada pourrait voir un afflux d’immigrés cherchant refuge. De plus, le populisme légitimé par un retour de Trump pourrait affecter la culture politique canadienne.

En revanche, une victoire démocrate offrirait une Amérique plus prévisible et plus alignée avec les valeurs et priorités du Canada, maintenant ainsi une relation plus stable entre les deux pays.

5. Est-il envisageable que ce peuple si divisé se réunisse après les élections de 2024 ?

Je ne fais pas partie du camp des alarmistes. Néanmoins, je suis énormément inquiet de ce qui se passe aux États-Unis. Le climat politique est excessivement tendu, comme le témoignent les deux tentatives d’assassinat visant Trump en quelques semaines. Ce dernier a également clamé qu’il ne reconnaîtrait pas le résultat de l’élection s’il perdait. Peut-on se prévoir à un nouveau incident semblable à celui du 6 janvier 2021 ? C’est très possible.

Cela dit, parler de guerre civile semble peut-être exagéré. Le peuple américain a déjà traversé d’énormes épreuves, comme la fin de l’esclavage. Je m’attends à d’autres événements isolés et malheureux. Dire qu’un conflit interne est imminente peut paraître excessif, mais la situation est très préoccupante, car les États-Unis sont supposément la plus grande république au monde et leurs institutions démocratiques sont très affaiblies actuellement.