Plusieurs jeunes ayant grandi dans la région de Montmagny ou certains nouveaux arrivants dans les deux dernières décennies se posent peut-être cette question : « Pourquoi une grande usine est située en plein coeur du centre-ville de Montmagny? » Pour mieux comprendre, il faut remonter le temps jusqu’en 1872.
L’usine Bélanger a ouvert ses portes en 1867, la même année que la confédération, dans un atelier à Saint-Pierre-de-la-Rivière-du-Sud, village natal de son fondateur, Amable Bélanger. Il produisait alors des charrues et des chaudrons. En 1872, il déplace ses opérations à Montmagny, dans une petite usine qui se trouvait au centre-ville.
Entre 1890 et 1950, l’entreprise Bélanger était considérée comme étant à la fine pointe de la technologie alors qu’elle produisait des poêles à bois, des fournaises, des instruments pour l’agriculture, etc.
En 1907, Joseph-Adrien Bélanger, le fils du fondateur reprend l’entreprise, mais il décède en 1913. Amable Bélanger vend alors sa compagnie à un groupe d’affaires magnymontois. Malgré des circonstances économiques parfois difficiles, elle continuera de prospérer dans les années qui suivent en ouvrant quelques succursales au Québec et en Ontario. L’usine participera même à l’effort de guerre en fabriquant des grenades sous-marines en 1942.
En 1954, l’espace qu’occupe Bélanger au centre-ville de Montmagny augmente alors que l’usine est agrandie pour créer une chaine d’assemblage pour les cuisinières électriques et au gaz.
Bélanger est acquis par Corpex en1960 puis par Admiral en 1979 jusqu’à la faillite de cette entreprise en 1982. Elle est ensuite fusionnée à Inglis en 1982 et finalement à Whirlpool en 1987.
Autour de 2001, Whirlpool corporation procède à une étude dans le but de restructurer la production de ses électroménagers en Amérique du Nord. La fermeture de l’usine de Montmagny est annoncée en 2002 et environ 600 travailleurs sont mis à pied en mai 2004. Il s’agissait à l’époque du plus gros employeur à Montmagny.
Perdre sa deuxième famille
Un élément qui ressort des témoignages de Pierre Malenfant, directeur de l’usine, et de Sylvie Boulet qui travaillait pour l’entreprise depuis 25 ans, est la fierté que les employés ressentaient de travailler pour Whirlpool, car les produits étaient associés avec une grande qualité. Un lien fort semblait aussi unir ces gens, certains considérant leurs collègues comme une deuxième famille. L’annonce de la fermeture a donc été difficile pour plusieurs.
M. Malenfant explique que la décision finale de fermer l’usine de Montmagny a été prise par Whirlpool en 2002. Lorsqu’il en a été informé, il a tout de suite demandé à la multinationale d’en faire l’annonce rapidement, car il ne souhaitait pas cacher cela à ses employés pendant deux ans. En mars 2002, Whirlpool a accepté et a annoncé que l’usine fermerait ses portes en mai 2004.
« Le jour où on t’annonce cette mauvaise nouvelle, on est vraiment saisi. On ressent de l’insécurité. Il y a aussi tous tes collègues de travail autour qui ont leurs propres réactions. Par contre, l’apprendre deux ans d’avance nous a permis de planifier autre chose et de penser à notre avenir », confie Sylvie Boulet. Elle ajoute toutefois que de se retrouver dans cette situation a permis à plusieurs personnes d’explorer de nouvelles opportunités, de retourner à l’école et de faire un changement de carrière. Pour certains, c’était plus difficile, par exemple, pour ceux qui étaient près de l’âge de la retraite et pour qui l’usine de Whirlpool était la seule expérience de travail.
Pierre Malenfant est ensuite devenu directeur d’une autre grande usine, mais il affirme qu’il n’a jamais retrouvé la proximité qu’il y avait avec ses employés chez Whirlpool. « C’était une usine de 600 employés, mais il y avait une sorte d’esprit familial. L’usine où j’ai travaillé par la suite était plus grosse, j’avais 1200 employés, mais c’était vraiment tous des inconnus, personne ne se parlait. C’était vraiment un aspect particulier de Whirlpool à Montmagny, nous étions comme une grande famille. »
Sylvie Boulet organise d’ailleurs, avec un groupe d’anciens employés, une soirée de retrouvaille pour souligner les 20 ans de la fermeture. La soirée se tiendra le 18 mai au sous-sol de l’église Saint-Thomas. L’activité est gratuite, mais les dons amassés seront remis à la Fondation de l’École secondaire Louis-Jacques-Casault.
Un legs d’1M$
Un peu avant la fermeture de l’usine Whirlpool de Montmagny, la multinationale a annoncé qu’elle laisserait un montant de 1 M$ dans la région de Montmagny afin qu’elle puisse l’investir dans d’autres projets économiques. Toutefois, cette initiative ne provient pas de l’entreprise, mais plutôt du directeur de l’usine Pierre Malenfant.
Il explique que l’entreprise budgétait chaque année en fonction de ses besoins. Pour la dernière année, un plus grand budget avait été prévu, car on s’attendait à des bris, du vandalisme, etc. Finalement, les employés se sont montrés très respectueux et n’ont pas exprimé leur mécontentement par des actes dommageables. Ils sont partis calmement le dernier jour, la plupart sont d’ailleurs restés avec l’entreprise jusqu’à la fin. M. Malenfant souligne que l’année a donc coûtée beaucoup moins cher que prévu et qu’il estimait que l’usine fermerait avec un surplus de 1 M$ sur son budget alloué. Afin de remercier les employés et la région, il a donc fait la demande à Whirlpool corporation que ce montant soit redonné à la communauté. Après quelques mois de négociation, il a obtenu gain de cause. Le montant a été confié à la Corporation de développement économique de la MRC de Montagny (CDÉMM).
De ce million de dollars, environ 400 000$ ont été investis dans les Presses du fleuve qui ont également occupé une partie de l’ancienne usine de Whirlpool. Cette entreprise avait une quarantaine d’employés jusqu’à sa faillite. Un autre 400 000 $ a servi au démarrage dans la région de Montmagny-L’Islet du Fonds d’intervention économique régional (FIER) qui aurait été impossible sans cet investissement provenant du privé. Certaines entreprises toujours dans la région en ont profité pour démarrer certains projets, comme Marquis Imprimeur et Étiquettes PDF. Un autre montant a servi à lancer des mesures attractives afin d’attirer de nouveaux employés dans la région. La CDEM gère cette partie du montant et, 20 ans plus tard, il resterait encore une partie du fonds original qui serait toujours disponible et elle serait utilisée par des entreprises qui souhaitent recruter des travailleurs étrangers.
Se tourner vers l’avenir
Le milieu socio-économique de la région a commencé à changer dans les années où la fermeture de Whirlpool a eu lieu. En effet, Nathalie Cloutier, qui était alors directrice au Centre local de développement (CLD), se souvient que plusieurs entreprises de la région ont fermé leurs portes dans les mêmes années, la région a donc perdu environ 850 emplois en peu de temps. Elle ajoute que Montmagny avait un caractère très manufacturier, un secteur de l’économie qui était alors en plein changement.
Yvan Ménard qui avait été engagé comme démarcheur afin de tenter de trouver une autre entreprise qui pourrait reprendre ce que Whirlpool avait laissé derrière connaissait très bien le milieu économique de la région. Il mentionne que la fermeture de Whirlpool était inévitable et qu’il n’était pas réaliste de croire qu’une autre entreprise aussi grande s’installerait à Montmagny. « Ce n’était pas réaliste de croire qu’il y aurait un sauveur qui viendrait tout arranger. Il y avait une mutation dans le milieu et cette fermeture était malheureuse, mais il fallait que ça se fasse. Ces pertes d’emplois ont toutefois permis à la région de se diversifier et les entreprises qui était déjà là à l’époque et sont encore ici aujourd’hui n’ont pas juste survécu, elles ont développé d’autres avenues et ce sont adoptées aux nouvelles réalités », explique M. Ménard.
« Toutes ces mauvaises expériences sont nées de la mondialisation qui s’accentuait à l’époque. Lorsque la Chine a pu commencer à vendre au Canada, l’industrie était beaucoup moins compétitive. Mais les gens ont commencé à diversifier le milieu économique de la région et nous étions constamment en train de regarder comment nous pourrions nous renouveler », ajoute Daniel Racine, directeur adjoint à la MRC de Montmagny. En effet, plusieurs entreprises qui étaient déjà implantées dans le secteur ont diversifiée leurs activités pour survivre et on grandit. De nouvelles se sont également implantées. Après plusieurs années, il y avait donc un plus grand nombre d’employeurs, mais qui engageaient moins de gens. À titre comparatif, à l’époque, Whirlpool était le plus grand employeur à Montmagny avec plus de 600 travailleurs alors que, 20 ans plus tard, il s’agit de Ressort Liberté avec un peu plus de 300. La région de Montmagny est tout de même demeurée principalement manufacturière et industrielle.
Dans les années suivantes, plusieurs initiatives ont été lancées afin de reconnaitre le travail des entrepreneurs. Au niveau de la Ville de Montmagny, le maire Jean-Guy Desrosiers trouvait également important de mettre en oeuvre différents projets, comme le terrain multisport Laprise, afin de rendre la ville plus attrayante. 20 ans après la fermeture de Whirlpool, Nathalie Cloutier conclut qu’il est important encore aujourd’hui d’avoir des gens avec du leadership qui motiveront les autres à continuer de développer Montmagny et les environs. « Je crois que, comme région, il ne faut pas avoir peur de rêver. Parfois on voit des choses dans de plus grandes villes et nous avons l’impression que ce n’est pas pour nous et que nous n’en avons pas les moyens. Je crois qu’il faut collectivement rêver à ce que nous pourrions avoir et de ce que nous souhaiterions que notre région devienne. Il faut aussi impliquer les jeunes, car ils ont une vision très différente de celles que nous avions il y a 20 ans. »