En date du 31 décembre 2023, près de 450 travailleurs étrangers temporaires avaient un permis valide pour travailler dans une entreprise dans les MRC de Montmagny ou L’Islet, selon le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration. Frédéric Jean, président d’Emballages LM et Annie Beaumont, directrice des ressources humaines chez Amisco, partagent leur expérience avec ces gens qu’ils jugent essentiels pour la survie des entreprises manufacturières en région et leurs inquiétudes par rapport aux nouvelles normes gouvernementales.
Plusieurs entreprises manufacturières dans les régions de Montmagny et L’Islet ont reçu des travailleurs étrangers temporaires dans les dernières années pour combler le manque de main d’oeuvre. Dans les derniers mois, le gouvernement canadien a annoncé des modifications au programme permettant de les accueillir. Les permis de travail seront maintenant valides un an plutôt que deux et le pourcentage des employés qu’ils pourront représenter a diminué de moitié.
Chez Amisco, une première mission à l’étranger en 2018-2019 avait amené 18 travailleurs de la Tunisie dans les usines de L’Islet et Saint-Pascal. En mars 2022, une nouvelle mission avait été lancée afin d’amener 14 travailleurs du Mexique. Pour le moment, un seul serait arrivé au Québec, l’entreprise attend toujours les 13 autres. Mme Beaumont explique qu’Amisco fait affaire avec une firme externe qui s’occupe de toutes les démarches administratives et de plusieurs suivis, mais qu’il faut tout de même s’assurer de bien encadrer les travailleurs à leur arrivée. « Nous n’avons pas vraiment de protocole ou de procédure en place, mais j’essaie de les accueillir comme si c’est moi qui le vivais. Ils ont mon numéro de cellulaire, donc s’ils ont un pépin la fin de semaine, ils peuvent me rejoindre. L’hiver arrive, s’ils ont une voiture, sont-ils au courant de la loi sur les pneus d’hiver? Il faut penser à tous ces détails. »
Du côté d’Emballages LM à Saint-François-de-la-Rivière-du-Sud, 19 travailleurs étrangers des Philippines ont été accueillis en deux cohortes, une en 2020 et une en 2022. Frédéric Jean explique que l’entreprise a fait l’achat de maisons dans lesquelles des chambres ont été aménagées pour recevoir les travailleurs. Pour le moment, tous ces gens sont encore à Saint-François. Plusieurs ont d’ailleurs obtenu leur citoyenneté canadienne.
Près de deux ans d’attente
Mme Beaumont et M. Jean soulignent tous les deux que les délais administratifs pour recevoir un travailleur étranger sont d’environ 18 mois, même avec l’aide de firmes spécialisés. « Les délais doivent changer. J’ai commencé la mission en 2022 et j’ai un travailleur sur 14 d’arrivée. C’est très long. En plus, le matin que tu pars une mission, tu as des besoins X, mais au moment qu’ils arrivent, tes besoins sont rendus Y. On a de la place à les recevoir, mais la charge de travail n’est peut-être plus la même », explique Mme Beaumont. D’ailleurs, M. Jean ajoute qu’il devait retourner en mission de recrutement prochainement, mais qu’il commence à hésiter à cause des longs délais.
Pour M. Jean, les travailleurs étrangers sont une ressource essentielle pour le fonctionnement de son usine, car ceux-ci représentent près du tiers de son personnel. « On m’a déjà demandé comment ça m’avait coûté d’amener des travailleurs étrangers. C’est environ 500 000 $. Si je les perds demain matin, je dois fermer mon usine et j’aurai en plus perdu 500 000$ », affirme le président d’Emballages LM.
Des normes en francisation inatteignables
Frédéric Jean se dit aussi agacé par le niveau de français demandé aux travailleurs étrangers afin d’obtenir leur citoyenneté canadienne. Il croit que ces niveaux les motiveront davantage à quitter la province dès que possible plutôt que de tenter de devenir des citoyens permanents. « La problématique que nous rencontrons, c’est que les exigences de français c’est niveau cinq à l’écrit et sept à l’oral. Ça équivaut à une fin de cégep première année. C’est vraiment trop pour des travailleurs d’usine. Nous ce qu’on veut, c’est qu’ils soient capables de travailler sécuritairement avec leurs collègues, être capable de communiquer, pouvoir se débrouiller au restaurant, à l’hôpital et pouvoir tenir une conversation. Ce ne sont pas des professeurs de français qu’on veut, ni des astrophysiciens. Le français de fin de première année de cégep, je ne l’ai pas moi et je me débrouille très bien dans la vie. »
La différence entre une région et Montréal
Les deux intervenants s’entendent aussi pour dire que les régions comme Montmagny et L’Islet devraient être mises à part des régions métropolitaines comme Montréal. « Le problème est sur l’l’île de Montréal. Trop de réfugiés et de demandeurs d’asile sont entrés, le taux de chômage est haut. Ils ont donc changé la mesure pour tout le monde, mais nous en région, c’est différent. On s’est occupé de notre immigration. Nous avons essayé d’aller chercher des demandeurs d’asile dans le passé, mais ils demandaient le même salaire qu’ils auraient eu à Montréal alors que le coût de la vie ici n’est pas le même. Nous nous sommes retournés vers les travailleurs étrangers, nous les avons formés, maternés, hébergés. Nous nous sommes occupés d’eux et plusieurs sont devenus des citoyens et soudainement, nous n’avons plus le droit et après la fin des contrats les règles changeront », déplore M. Jean. Il ajoute qu’il trouve aussi incompréhensible de diminuer les délais de validité des permis alors qu’en obtenir un prend déjà beaucoup de temps à cause des délais administratifs et que la nouvelle norme causera un plus grand nombre de demandes.
« Depuis 2018, ce programme n’est plus une mesure exceptionnelle. Nous gérons depuis un moment avec cela et soudainement les règles changent, c’est assez préoccupant », souligne également Mme Beaumont.
Personne n’en parle est une collaboration entre L’Oie Blanche et le CAE Montmagny-L’Islet.